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Être lâchée dans la nature

J’aimerais évoquer avec vous l’une de mes plus grosses angoisses de ma vie de malade chronique. Pour comprendre cette angoisse il faut d’abord comprendre comment fonctionne notre prise en charge.

Quand on a une endométriose qui se manifeste de manière forte, la prise en charge se retrouve entre les mains d’un.e chirurgien.ne gynécologue spécialisé.e de l’endométriose. Ce sont des oiseaux rares qu’on peut trouver dans les grandes villes. Ils sont plus ou moins compétents, plus ou moins au courant des dernières avancées de la recherche, plus ou moins bienveillants voire… Plus ou moins maltraitants. Ils sont parfois installés dans des centres de prise en charge de l’endométriose, parfois seuls. Rares sont les endométriosiques qui peuvent réellement choisir leur chirurgien.ne : nous allons souvent chez celles et ceux qui sont près de chez nous. Comme je le disais plus haut, on peut tomber sur le meilleur comme sur le pire.

Ces spécialistes ont souvent été obligés de pratiquer au-delà de leur métier de chirurgien.ne. Ils s’occupent parfois de la partie diagnostic ainsi que la partie suivie même quand aucune opération n’est prévue. Pour beaucoup d’endométriosiques, ils sont la clé pour faire avancer leurs situations médicales.

Et pour cause, rares sont les généralistes et les gynécologues qui connaissent l’endométriose. Bien souvent c’est à ce niveau-là que notre prise en charge montre toute sa faiblesse. Malheureusement peu sont capables de diriger les malades vers un chirurgien spécialisé (par orgueil ou par méconnaissance). Dans les pires des cas ces médecins infligent (oui c’est le mot) des traitements inutiles voire dangereux à des patientes en n’ayant aucune connaissance sur l’endométriose. Dans les « meilleurs », ils refusent juste de nous donner de quoi soulager nos douleurs ou nos symptômes et minimisent la maladie.

Lorsque les médecins généralistes ou les gynécos s’intéressent à l’endométriose, alors ils ou elles peuvent parfois avoir une part dans notre prise en charge pour le diagnostic, la gestion de la douleur, notre hormonothérapie, nos prescriptions d’examens. De mon point de vue, ce rapport de proximité avec une personne qui nous connait bien et qui peut nous accueillir en consultation rapidement est précieux et bien trop rare. Bien souvent on arrive cependant au point où la situation dépasse leurs compétences. Si vous avez alors la chance d’être face à un médecin consciencieux et informé, il vous redirigera vers ces fameux spécialistes.  

Malheureusement le faible nombre de spécialistes entraine des délais de rendez-vous extrêmement longs. Pour exemple mon dernier rendez-vous avec mon chirurgien m’a été donné avec plus de 8 mois de délais alors que je suis déjà patiente chez lui depuis 3 ans (or il m’a été dit que les délais été encore plus longs pour les nouvelles patientes).

Pour moi, en tant que patiente, un des plus gros enjeux des rendez-vous avec mon chirurgien, c’est ce que j’appelle réussir à ne pas être «lâchée dans la nature». Ma plus grosse peur, c’est le vide. C’est-à-dire repartir d’un rendez-vous médical sans nouvelle piste de soin, sans nouvel examen, sans nouveau rendez-vous prévu, sans opération à venir. La plupart des gens qui ne connaissent pas la maladie ne comprennent pas ce sentiment. « Ce n’est pas possible, on ne peut pas laisser quelqu’un souffrir comme ça ! » s’écrient-ils avec la colère naïve de quelqu’un qui ignore à quel point la prise en charge des malades chroniques (et particulièrement des femmes) est désastreuse. Être lâchée dans la nature c’est souffrir, avoir beaucoup de symptômes et se retrouver avec rien, aucune solution. C’est aussi parfois risquer que nos lésions s’aggravent et créer des dégâts sur nos organes. C’est un retour à la case départ. La même impression de vide et d’indifférence qu’un « vu » sur une copie d’école. Quand on est lâchée dans la nature, le mieux qu’on puisse espérer c’est d’attendre un peu, de retourner chez son ou sa généraliste/gynéco, espérer qu’on accepte de prescrire de nouveau un examen, que quelque chose de nouveau soit vu et reprendre rendez-vous chez un.e chirurgien.ne. Bref, repasser par 6 mois …1 an… parfois plus… de protocole pour espérer revoir la personne qui peut nous soulager.  Parfois on est juste pas assez atteinte selon les médecins pour qu’on daigne examiner une nouvelle fois notre cas et nos options.

La prise en charge de l’endométriose en France a bien des défauts. Beaucoup de médecins sont mal informés et maltraitants. Nous évoquons souvent nos rendez-vous qui se passent mal. Cependant une grosse part de notre vie de malade c’est aussi le vide, l’inquiétude, l’impression que l’on n’est jamais assez malades pour être prise en charge. Aujourd’hui nous sommes nombreuses à être dans des situations de souffrance sans que rien ne nous soit proposé, sans réel suivi. Lâchées dans la nature en essayant de se raccrocher à la moindre avancée dans notre dossier, à un ersatz de prise en charge.

Par parhelie

Parhelie est féministe et sociologue du genre à ses heures perdues. Diagnostiquée à 25 ans, elle souhaite dès lors mettre son militantisme et ses connaissances au service de la lutte pour la reconnaissance de l'endométriose.

Une réponse sur « Être lâchée dans la nature »

c’est ça et quand on te propose pas les cours dispensés bizarrement par la clinique où le DR a des parts, il nous sort qu’il ne peut pas nous traiter car on ne fait pas ce qu’il faut… MAGIQUE

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