Le confinement pour moi c’est une seconde nature.
J’ai beaucoup de chance d’avoir un bout de jardin-potager-forêt et de l’espace dans ma maison pour pouvoir vivre et respirer sans étouffer l’autre. J’ai de la chance aussi parce que je me suis entraînée pendant des années à rester enfermée chez moi sans voir personne (merci la dépression) à part mon amoureux, les quelques voisin.e.s du coin, la boulangère, le prof de yoga de temps en temps, et les promeneur.se.s dans la forêt. Comme maintenant quoi. J’ai pris l’habitude d’organiser mes journées pour qu’elles aient l’air un peu remplies quand même, pour ne pas trop tourner en rond dans l’océan des pensées qui se bousculent.
La to-do-list, c’est une spécialité de la maison : ranger, laver cheveux, gâteau marron chocolat, écrire à L., M., J., répondre au mail de A., Pôle Emploi, arroser potager, virement loyer, lire, balade, levain. Du rien pour remplir, du rien qui devient tout. Se forcer à lire, à sortir, à rester en contact, faire les papiers, les trucs chiants, pour se sentir un peu moins seule, un peu moins nulle de n’avoir rien fait le soir venu. Le plaisir coupable d’être productive, de pouvoir rayer une à une les choses à faire qui ne sont plus et s’en libérer d’un coup de crayon.
J’ai de la chance d’être chez moi tranquille après des mois harassants de travail physique puis d’études intensives. Sortir tôt le matin quand il fait encore nuit pour sauter dans un train, puis marcher dans le froid qui réveille. Tous ces jours passés à devoir gérer tant bien que mal les troubles intestinaux : des douleurs fulgurantes qui me plient en deux et me font me ruer aux premières toilettes venues – oui mêmes celles des trains. Prévoir de me réveiller 1 h plus tôt pour avoir le temps de me vider chez moi, de gérer les douleurs chez moi. Une heure de sommeil en moins. Mais ce n’est jamais suffisant. Ces saloperies d’intestins font la fête sans moi, à tout moment, où que je sois, sans crier gare, comme un coup de poignard par derrière. Traîtres.
J’ai de la chance de pouvoir me libérer de toutes les injonctions sur mon corps de femme : les poils à épiler, les pantalons qui serrent trop et appuient sur l’utérus et les ovaires, le soutien-gorge pour modeler la poitrine – qui étouffe et accentue mes douleurs. Chez moi je suis confortable, je n’ai pas de compte à rendre. Ça fait un mois que je n’ai pas porté de putain de soutif. Le bonheur.
J’ai de la chance de pouvoir souffrir en silence chez moi quand j’ai des crises d’endométriose. Je n’ai plus besoin de courir chez ma médecin traitant quémander un arrêt maladie (« mais ce n’est pas à vous de demander Mademoiselle, c’est au médecin de décider »). Plus besoin de le scanner, de l’envoyer par courrier à la CPAM puis par mail à l’école avant de leur donner en papier à mon retour. Plus de pertes d’indemnités chômage de Pôle Emploi (pas loin de 80 euros en moins pour 2 jours) pour absence à la formation (même justifiée). Alors que du temps où je travaillais, j’avais bien des indemnités journalières grâce à mon ALD. Je peux souffrir chez moi, en silence. Étudier depuis mes toilettes, depuis ma couette, avec un sandwich ventre-bouillotte-ordinateur pour travailler, le combo endo.
J’ai de la chance parce que je tenais mes journées d’avant à bout de bras, à bout de force, toujours sur la ligne au bord du craquage. Je rentrais le soir juste à temps pour avaler une soupe, passer sous une douche brûlante et m’endormir à 20 h sur le canapé, sans plus aucune cuillère pour regarder la moindre série. Ma fatigue chronique est toujours là, je compte toujours les cuillères pour espérer finir mes journées sans m’écrouler, mais c’est plus facile. Les heures de déplacement en moins, les interactions sociales multiples, le sac à porter, le froid, le chaud, rester debout dans le train parce qu’il n’y a plus de place et que je n’ai toujours pas trouvé comment demander à celleux qui semblent en forme de me céder la leur (de place pas de forme. Quoique?).
J’ai aussi plus de temps pour échanger, relire, participer, écrire autour de ce blog collaboratif politique et féministe sur l’endométriose. Et ça, ça me donne une montagne de force grande coooooomme ça.