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La violence d’être une femme

Ce témoignage a initialement été écrit pour le projet « La violence d’être une femme » de l’artiste rennaise Feïr et fait écho à l’illustration en début de texte.
Vous pouvez retrouver ses œuvres sur ses différents sites : Facebook, Instagram et sur son blog La violence d’être une femme qui regroupe tous les portraits et les témoignages qu’elle a recueilli.

« Tu es une femme, c’est normal d’avoir mal »

Mon histoire avec l’endométriose remonte à mon adolescence, au moment des premières règles vers mes 11 ans. Elles étaient très abondantes, et très douloureuses. Puis est venu le temps des premiers rapports. Eux aussi souvent douloureux. N’ayant aucun point de comparaison, je pensais que c’était pareil pour tout le monde. Et puis, on m’a bien dit et répété que : « Tu es une femme, c’est normal d’avoir mal. Les règles ça fait mal ». Alors on m’a prescrit des anti-douleurs, et on m’a mise sous pilule dès mes 14/15 ans sans me demander mon avis. Je devais la prendre, c’était normal. A cet âge-là, le médecin ne parlait qu’à ma mère en consultation, comme si je n’étais pas là.

Presque 10 ans plus tard, je décide d’arrêter la pilule à cause des effets secondaires. Effets secondaires dont aucun médecin n’a jugé bon de me prévenir dès les premières prescriptions. C’est très souvent le cas d’ailleurs, certains médecins n’en parlent pas volontairement parce qu’ils pensent que les femmes vont s’inquiéter et se créer elles-mêmes les symptômes si jamais on les prévient. La fameuse hystérie féminine. Bonjour le paternalisme.

Je devais être plus sensible que les autres, un peu douillette peut-être.

On me pose alors un DIU au cuivre sans même me faire de vérification de MST/IST, notamment de chlamydia, ce qui est normalement obligatoire avant toute pose de stérilet pour ne pas risquer de faire remonter les maladies dans l’utérus. Lors de la pose, j’ai mal, atrocement mal, je suis au bord de l’évanouissement. Mais le gynéco ne m’écoute pas, me dit de prendre sur moi et force pour faire passer le DIU. Il a réussi, il est content de lui. Je paye et repars tremblante, à demi-consciente. Je ne m’en rendais pas encore compte à cette époque parce que je pensais que ça se passait toujours comme ça, que le médecin savait sans doute mieux que moi, mais je vivais un énième épisode de violence gynécologique. Et puis, on m’avait dit que c’était normal d’avoir mal, et que je devais être plus sensible que les autres, un peu douillette peut-être.

Un an plus tard, je fais retirer le DIU car j’ai mal, mes règles sont trop abondantes et les rapports extrêmement douloureux. Le gynéco qui me l’enlève reste impassible quand je lui dis que le retrait m’a fait mal. « Mais non vous n’avez pas mal, ce n’est pas possible, et puis pour les rapports, peut-être que vous n’y mettez pas assez du vôtre ». Une fois encore, mes douleurs ne sont pas écoutées, pire, ça serait ma faute si j’ai mal. On me remet sous pilule sans chercher plus loin.

A partir de là, je décide de ne plus aller voir de gynécologue homme. En plus de me mettre mal à l’aise, je ne me sens pas écoutée. Je trouve donc une sage-femme formidable pour mon suivi. Elle m’écoute, elle me demande si je consens à ce qu’elle m’ausculte et me demande la permission avant chaque geste. Je prends conscience à ce moment là que tous les autres examens que j’ai subis n’étaient pas obligatoires et surtout non consentis ! Comme si en franchissant le pas de la porte du cabinet, je signais un accord tacite de mise à disposition de mon corps pour le soignant, laissant derrière moi ma personne, et n’étant plus qu’une carcasse à réparer. J’aurais tant aimé savoir que je pouvais leur dire non quand je n’avais pas envie de subir un examen. Qu’il ne fût pas normal qu’un inconnu, tout médecin soit-il, trouve banal d’insérer doigts et outils dans l’endroit le plus intime de mon corps sans demander la permission.

« Tout est normal, vous n’avez rien »

Malheureusement, les grosses crises de douleurs commencent. Des douleurs à ne plus pouvoir parler, ni bouger, ni respirer. Cette impression que quelque chose me dévore de l’intérieur. Mon corps brûle. Mon généraliste de l’époque m’écoute vaguement et me demande si tout ça ne serait pas lié à du stress. Il me donne de l’homéopathie pour « me détendre ». Je passe plusieurs scanners et des échographies qui reviennent négatifs. On me dit que « tout est normal, vous n’avez rien ». Moi j’entends encore « votre douleur est dans votre tête, vous n’avez rien ».

Je retourne voir ma sage-femme pour une pose de DIU aux hormones cette fois car j’oublie trop souvent ma pilule. Comme la 1ère fois, elle a du mal à y arriver, mais contrairement au 1er gynéco qui m’a posé un DIU, elle n’insiste pas devant ma douleur et se confond en excuses pour le mal qu’elle m’a fait. Ça semble peu de chose, mais pour une fois, on me dit que la douleur que je ressens n’est pas ma faute, et mon corps est respecté. Je suis respectée en tant que personne. On essayera par 3 fois de faire poser ce fichu DIU hormonal. 3 échecs, la douleur est beaucoup trop intense, elle ne veut plus insister et me faire souffrir. Elle me fait alors une ordonnance pour aller voir une consœur gynécologue et me parle d’adénomyose. Elle reconnait que ma douleur n’est pas normale et que ça dépasse ses compétences de sage-femme.

On est donc en 2017, j’ai 27 ans et pour la 1ère fois depuis mes 11 ans, j’entends que mes douleurs ne sont pas normales. J’ai un diagnostic d’endométriose/adénomyose peu de temps après. Il m’aura donc fallu 16 ans avant qu’une personne m’écoute. 16 ans à passer de soignants en soignants au point de finir par intégrer que c’était normal d’avoir mal et que c’était sans doute dans ma tête.

Tout ce qui compte dès à présent est de savoir si je veux des enfants.

Malheureusement, ce diagnostic, même s’il m’a grandement soulagée d’un poids, ouvre la porte à de nouvelles violences gynécologiques. Mon utérus est « malade ». Tout ce qui compte dès à présent est de savoir si je veux des enfants. A partir d’un certain âge, on n’est plus une femme, on est plus qu’une mère en devenir. Tous mes traitements sont donc basés là-dessus. Si avant on s’inquiétait du fait que je puisse avoir des relations sexuelles et satisfaire mon conjoint, maintenant, je suis en plus vue que comme une matrice à enfanter auprès des médecins. La question de la grossesse revient sans cesse, à chaque rendez-vous, on me presse toujours d’avoir des enfants tant que c’est encore possible. On me regarde bizarrement quand je dis ne pas en vouloir, on me pose des questions sur la solidité de mon couple, et le désir de mon conjoint d’avoir des enfants comme s’il passait avant le mien. Une fois de plus, ma personne et mes désirs sont effacés. Seul compte le bon fonctionnement de mon utérus pour une grossesse dont je ne veux pas. J’apprendrai même que certains médecins cachent volontairement le diagnostic d’endométriose à leurs patientes pour ne pas qu’elles aillent chercher des informations sur le net et, qu’à cause du stress que ces informations pourtant indispensables peuvent créer, aient du mal à tomber enceintes par la suite !!!

Récemment j’ai vécu le pire des rendez-vous médicaux. Un vieux gynécologue retraité mais qui fait toujours quelques permanences, spécialiste de l’endométriose m’a-t-on dit. Paternalisme, infantilisation, culpabilisation, non consentement. La totale. Je n’oublierai jamais la violence de ses mots : « vous me faites peur », « si vous n’allez pas mieux, votre conjoint va vous quitter », « votre douleur est aussi psychologique », « non, vous n’avez plus d’endométriose » (alors qu’il regarde à peine l’IRM de contrôle post-opératoire sur laquelle la soignante signale plusieurs nouvelles lésions). Il me met sous anti-dépresseurs et change mon traitement sans m’avertir des effets secondaires. J’apprendrai plus tard que ce traitement sera retiré du marché car il cause des méningiomes. Je suis ressortie en pleurs et traumatisée avec l’impression d’être à nouveau cette jeune fille de 14 ans terrorisée à son premier rendez-vous gynécologique.

A 30 ans maintenant, j’ai toujours peur des rendez-vous médicaux.

On pourrait se dire que mon parcours est atypique. Pourtant, les violences gynécologiques que j’ai subies, qu’elles soient physiques ou psychologiques, sont d’une triste banalité. Toutes ces années d’errance médicale, à voir mes douleurs minimisées voire fantasmées ont laissé de profondes traces en moi. Je ne me sens toujours pas légitime dans mes douleurs et ma maladie. Je remets constamment en question mes douleurs et mon ressenti. Est-ce que je n’en fais pas trop ? Peut-être que j’exagère au fond…
J’angoisse avant chaque rendez-vous médical, surtout lorsque je vais voir un soignant homme, au point que je ne dors presque plus les jours précédents. J’en suis venue à créer un classeur regroupant tout mon dossier médical pour appuyer ma légitimité en tant que malade chronique en espérant être prise au sérieux. Je n’ose toujours pas dire non aux examens intrusifs. A 30 ans maintenant, j’ai toujours peur des rendez-vous médicaux.

Il serait grand temps les femmes soient respectées par l’ensemble du corps médical. Pas seulement nos corps, mais aussi nos personnes. Que notre consentement soit demandé avant chaque examen. Qu’on ne soit plus infantilisées. Que notre santé soit plus importante que nos capacités à avoir des relations sexuelles et à enfanter.

Par Little Sica

Lady Endo Bulot of Glencoe, TramaDoll rêveuse fantastique

Historienne de l'art reconvertie, grande amatrice de thé et de dinosaures, je m'occupe de publier vos témoignages et des réseaux sociaux. N'hésitez pas à me contacter à l'adresse : temoignages@noscorpsresistants.fr !

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Une réponse sur « La violence d’être une femme »

franchement merci ! même chose : douleurs très jeune, pilule très jeune, pendant 10ans (maintenant c’est fini!), « c’est normal d’avoir mal » entendu 1000fois, dégout du corps médical dans son ensemble, 19 ans avant d’être diagnostiquée, j’ai également fait un document avec les phrases collector que j’ai entendu et subi…. Et j’ai écouté pas mal de témoignages sur l’endometriose, podcats, émissions de radio. c’est traité comme si le problème majeur est le possible manque de fertilité,c’est hallucinant.
Les pires conséquences de cette maladie dans mon cas : la douleur tous les mois et la perte de confiance dans la medecine. merci pour ton témoignage, ça fait plaisir de ne pas être seule dans ses révoltes

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