L’endométriose est une double peine.
La première, celle de la douleur, la deuxième, celle du patriarcat.
Nous sommes épuisées par la maladie, les douleurs quotidiennes, les opiacés, les nuits sans dormir, les hormonothérapies qui ne marchent pas, les effets secondaires.
Nous sommes épuisées par la négation de nos douleurs, les humiliations dans les cabinets de gynécologie, la remise en cause systématique de nos ressentis même quand, au bout d’années et d’années d’errance médicale, la maladie est enfin diagnostiquée.
Épuisées par les soupçons de mensonges sur nos douleurs, de « problèmes psychologiques », voire de traumatismes refoulés qui expliqueraient la maladie.
Épuisées par le mépris des soignant.es et d’une parole médiatique pour lesquels l’endométriose est une maladie de « douleurs de règles » dont « on ne meurt pas ». Sans cesse psychiatrisées, nos douleurs sont souvent minimisées, relativisées ou simplement niées.
Nous sommes des féministes, des lesbiennes, des personnes non binaires, des mecs trans.
Nous sommes de ces malades pour qui la vie est désormais empêchée, sans plus pouvoir travailler ou au prix d’antidouleurs puissants, qui ne voulons pas d’enfants ou en voulons sans pouvoir l’envisager, qui ne marchons plus, ou peu, ou avec une canne, qui n’avons parfois plus d’utérus, mais des atteintes partout dans le corps, des nerfs lésés par des nodules, des stomies, des kystes hémorragiques, qui avons vécu plusieurs opérations, plusieurs espoirs et plusieurs échecs.
Nous sommes de ces corps qui résistent.
L’endométriose est une de ces maladies que seul le patriarcat sait produire : connue depuis l’antiquité, reconnue depuis la fin du 19e siècle, la recherche n’a pas ou très peu avancé.
Les raisons de cette absence de prise en charge sont simples : la douleur des femmes n’intéresse pas, qui plus est lorsqu’elle touche à la sphère gynécologique, car le corps des femmes est toujours déjà pathologique, toujours déjà malade(1). Doit-on redire ici que la théorie la plus répandue pour expliquer l’endométriose est la même qui expliquait hier l’hystérie(2) ?
Ou que la maladie a été longtemps considérée comme une maladie de femmes blanches carriéristes, délaissant leur devoir de maternité ?
Il n’y a pas de « tabou » autour de l’endométriose, il n’y a que des générations de femmes qu’on a priées de souffrir en silence, à qui on n’a même pas expliqué de quel mal elles souffraient et à qui on demande encore et toujours ne pas faire trop de bruit, de s’exprimer sans trop de colère, de rester à leurs places.
C’est à cette injonction au silence que ce blog veut répondre. Car il y a tant à dire. Sur la maladie : sa gestion, son absence de prise en charge, sur la violence que nous subissons (sexiste, raciste, lesbophobe, transphobe, grossophobe, etc.). Il y a tant à partager : sur nos parcours de vie, nos manières de faire face, nos lectures sur les avancées de la recherche, nos pratiques de résistance.
Nous faisons ici le pari de mettre en commun nos savoirs et de liguer nos forces car nous avons besoin, de manière vitale, de faire du collectif et de tisser des liens profonds de solidarité.
Dans cet espace que nous créons aujourd’hui, nous proposons des textes personnels (récit de vie, retour d’expériences, réflexions, etc.), mais aussi un travail collectif, au travers de la rédaction d’un « manuel d’autodéfense de l’endométriose ».
Nous espérons pouvoir y écrire nos conseils, issus de nos expériences.
Comme il existe bien des endométrioses, il existe une pluralité de personnes atteintes. C’est à cette pluralité de la maladie et des parcours que nous souhaitons ici ouvrir la voie. Exprimons, partageons, luttons !
Toutes propositions de textes : contact@noscorpsresistants.fr.
(1) : À ce titre, nous renvoyons notamment à Barbara Ehrenreich et Deirdre English, « Fragiles ou contagieuses, le pouvoir médical et le corps des femmes », Paris, éditions Cambourakis, 2016. (retour au texte)
(2) : La théorie du « reflux menstruel » est proposée par le gynécologue américain John A. Sampson en 1927. Des fragments d’endomètre remonteraient tous les mois, via les trompes de Fallope, dans la cavité abdomino-pelvienne et provoqueraient ainsi des lésions (kystes, nodules, etc.). Théorie largement remise en cause, mais qui reste encore l’explication la plus répandue de l’endométriose. (retour au texte)
5 réponses sur « Manifeste »
Le courage d’écrire malgré souffrances physiques et psychiques vous l’avez trouvé et nous parents ou amis de personnes atteintes par l’endométriose nous avons besoin d’informations aussi et de savoir qu’une chaîne de solidarité existe rassure un petit peu.
Un grand bravo pour cette belle initiative. Hâte de vous lire.
Bravo à vous ! faites connaitre cette maladie taboue ! Dire, c’est déjà engager le dialogue, faciliter une prise de conscience collective et engager l’obligation de recherche de solutions.
Vos mots sont d’une telle justesse.
Maladie délaissée, vision patriarcale, prisme de la grossesse, vie brisée…
Nous sommes au 21eme siècle , siècle où la souffrance d’une femme sur dix est une normalité, où l’hormonothérapie conduisant à des effets secondaires parfois bien pire qu’endo est une normalité.
Merci pour vos mots !
Merci de mettre en lumière cette maladie.
je découvre aujourd’hui ce site et en ait les larmes aux yeux…
tout.
Toutes mes difficultés, toutes mes souffrances, tous mes doutes sont écrits noir sur blanc, vous l’écrire m’apporte à nouveaux des larmes…
je pense que je vous enverrai prochainement un texte. Un profond merci en tout cas pour ces voix que vous faites enfin entendre.