L’endométriose est connue du monde médical depuis des siècles. Il est fréquent que l’on se pose les questions suivantes : d’où vient cette négation de la douleur des femmes ? Pourquoi a-t-on mis si longtemps à prendre cette maladie au sérieux ?
L’est-elle vraiment, encore aujourd’hui ? Pourquoi est-ce qu’on en est encore là en 2020 ?
Dans cet article je vais tenter d’expliquer l’origine de la négation des douleurs des femmes par le corps médical à travers les connaissances de l’histoire et de la sociologie.
Petit aperçu des discours médicaux sur le corps des femmes aux XVIIIe et XIXe siècles
Avant le XVIIIe siècle, la théorie la plus courante était que les corps féminins et masculins étaient les mêmes mais configurés différemment. Le vagin est un pénis intérieur, les ovaires sont des testicules, les lèvres sont des sortes de prépuces, etc. Au cours du XVIIIe siècle, l’idée selon laquelle le sexe féminin est le sexe faible s’enracine peu à peu. Le corps des hommes incarne ainsi la norme et celui des femmes… le manquement à la norme.
Le corps féminin a alors deux caractéristiques : il est faible et a pour seul et unique but de donner la vie. On décrit le cerveau des femmes comme plus petit, leurs os comme moins solides, leurs muscles comme mous. Le corps féminin n’a qu’une partie qui est plus développée que le corps masculin : ses nerfs et ses vaisseaux qui lui donnent plus de sensibilité.
Ce qui, vous vous en doutez, n’est pas tellement vu comme une qualité. Cela explique que les femmes sont plus irritables, plus vives, elles ne savent donc pas faire preuve de raison.
Les femmes des éternelles malades
Ces discours sont accompagnés de la notion « d’éternelles malades » que l’on colle à la peau des femmes : les règles, la grossesse, la ménopause sont pathologiques. La vie d’une femme est rythmée par la maladie et la douleur qui font partie intégrante de sa « nature féminine » et qu’elle doit accepter.
L’intérêt médical autour du corps des femmes s’axe bien évidement autour de la procréation. L’utérus que l’on appelle « la matrice » fait l’objet d’une véritable obsession. L’utérus est « viscère tyrannique » selon l’historien Michelet.
C’est lui qui conduit les désirs des femmes, les rend déraisonnables, indomptables. Ces discours ne sont pas sans rappeler les discours sur le flux menstruel qui, depuis l’antiquité, est vu dans de nombreuses civilisations comme possédant des propriétés maléfiques.
Le docteur Louyer-Villermay décrit l’hystérie comme une névrose génitale lié à des lésions du système nerveux utérin, dues à des besoins sexuels inassouvis. Cette névrose peut selon lui être guérie par le mariage (oh tiens comme la vie est bien faite !).
L’utérus est même vu comme quasi autonome. Il s’offusque, s’irrite ou au contraire s’apaise face aux choses agréables. On parle de « fureur utérine » (qui ferait, on ne va pas se mentir, un très bon pseudo de catcheuse).
Alors me direz-vous, mais pourquoi tu nous racontes tout ça ?
Cette vision du corps des femmes et cette nécessité pour elle de souffrir a imprégné et imprègne toujours les enseignements de médecine. Elle est évoquée de manière certes moins directe et plus détournée, mais est cependant toujours bien présente aujourd’hui.
La douleur des femmes aujourd’hui
Les stéréotypes sur les femmes et les hommes encore omniprésents dans notre société influencent la lecture des symptômes par les médecins. De nombreuses études le montrent aujourd’hui : les femmes et les hommes sont traités et diagnostiqués différemment.
Conséquences du sexisme dans le monde médical
L’infarctus du myocarde par exemple (aussi appelé « crise cardiaque ») reste sous diagnostiqué chez les femmes, car considéré comme masculin. Une patiente qui se plaint de douleurs à la poitrine aura plus de chance de se voir prescrire des anxiolytiques (ça doit être notre viscère tyrannique qui parle) et les hommes d’être redirigés vers un cardiologue.
Or, aujourd’hui, les maladies cardiovasculaires sont la première cause de mortalité des femmes dans le monde (56 % des femmes en meurent contre 46 % des hommes). De même les symptômes de l’infarctus qui sont plus présents chez les femmes (nausées, douleur dans la mâchoire…) ont été pendant des années sous-étudiés et sont toujours moins détectés.
Les rôles sociaux que l’on attribue aux femmes et aux hommes influencent cela. Les femmes sont vues comme vulnérables psychologiquement et physiquement et davantage douillettes. Est-on vraiment loin du sexe faible et de la « nature féminine » du XVIIIe siècle ?
On aura donc tendance à moins prendre au sérieux leurs douleurs et leurs symptômes. Les hommes expriment bien moins leurs maux et sont vus comme plus solides et comme moins plaintifs. Ils seront donc davantage écoutés.
Une étude publiée en 2019 dans l’«European Heart Journal» et réalisée aux Pays-Bas révèle qu’une femme victime de malaise cardiaque dans un lieu public a d’ailleurs moins de chances qu’un homme d’être ranimée par des témoins.
Ces problèmes se retrouvent dans d’autres types de maladies et de symptômes. Une étude de 2008 réalisée sur 4 pays montre qu’aux urgences les femmes qui viennent pour des douleurs abdominales fortes vont recevoir un antidouleur en moyenne 16 minutes après les hommes. Une autre étude réalisée en Italie montre également que l’équivalent italien du SAMU se déplace moins vite et moins souvent lorsque les patientes sont des femmes.
Nous pouvons également évoquer deux affaires récentes qui ont été médiatisées.
Deux jeunes femmes sont décédées en France parce que le SAMU a refusé d’intervenir, car elles n’ont pas été prises au sérieux. À noter que l’une de ces jeunes femmes était noire et que nous ne pouvons nier qu’au même titre que le sexisme, le racisme amène lui aussi à des retards de diagnostic et à une mauvaise prise en charge des douleurs, qui peuvent mener à la mort de malades.
Le « syndrome méditerranéen » est effectivement un concept raciste utilisé en médecine qui justifie l’inaction des médecins par le fait que les personnes racisées auraient tendance à exagérer leur douleur.
La recherche médicale n’est pas épargnée
Ce sexisme médical se manifeste aussi dans la recherche. En France, sur l’ensemble des personnes incluses dans des recherches cliniques, seules 33.5 % sont des femmes.
Au XXe siècle, ce sont les variations hormonales qu’elles subissent qui sont montrées du doigt pour justifier l’absence de parité dans les tests cliniques voire l’absence totale de femmes dans l’échantillon
On a dû oublier de nous faire passer le mot qui dit que les hommes n’ont pas d’hormones et pas de variations hormonales. Cette croyance est toujours avancée chez certains médecins, et certains laboratoires.
Et l’endométriose dans tout ça ?
Non, rassurez-vous, je n’ai pas oublié que j’écrivais sur un blog qui parle d’endométriose.
Comme je l’ai montré, les femmes sont moins crues et souvent ramenées à leurs sentiments, leurs angoisses et leurs faiblesses lorsque l’on les diagnostique.
Aujourd’hui encore, on apprend à certains médecins qu’il ne faut pas dire aux patientes qu’elles ont l’endométriose par peur de provoquer une sorte d’hystérie chez elles.
Beaucoup de théories pour expliquer l’endométriose tournent autour du contrôle des émotions, de la colère, d’une soi-disant non acceptation de la féminité.
Il est difficile de ne pas faire le parallèle avec les théories (pas si) passées de la médecine sur l’utérus et le manque de raisonnement des femmes. Notre douleur semble toujours vue comme normale, naturelle et même nécessaire. Notre faible constitution nous rend toujours soi-disant plus plaintives.
Il faut également noter que beaucoup de recommandations officielles conseillent de ne prendre réellement en charge notre maladie que lorsque nous avons un désir d’enfant. Souviens-toi : la nature féminine qui a uniquement pour but de se reproduire.
Décrypter ces biais sexistes et misogynes parait indispensable afin de lutter en faveur d’une prise en charge enfin à la hauteur de nos douleurs et nos vécus.
Sources :
- « Femmes et santé : une affaire d’hommes ? » Murielle Salle et Catherine Vidal, 2017
- « Histoire des femmes en Occident – XVIe – XVIIIe siècles » dirigé par Nathalie Zemon Davis et Arlette Fage, rééedition de 2013