[TRIGGER WARNING ! Attention, cet article fait mention de prises de médicaments abusives et de suicide. Si ce sont des sujets sensibles pour vous, ne lisez pas la suite !]
Là où tout a basculé
Il y a quelques mois, je vivais ce qui est à ce jour le pire moment de ma vie d’endométriosique. Un mois et demi complet de crises non-stop. Des crises à avoir envie de mourir tellement la douleur était au-delà du supportable. Je ne pouvais quasiment plus sortir, j’étais sous opioïdes en permanence, je ne pouvais plus m’en passer. Je n’étais même plus capable de marcher, de me faire à manger. Prendre une douche était une épreuve. Je devenais folle, de douleur, d’épuisement. J’étais devenue dépendante de mon conjoint pour tout, même pour me laver. Cette situation, en plus d’être douloureuse physiquement l’était aussi psychologiquement.
Peu de temps après, nous avons eu une discussion à cœur ouvert mon partenaire et moi. Me sentant comme un poids, un boulet pour lui qui doit toujours s’occuper de moi, je lui ai directement demandé si parfois il n’en avait pas marre de tout ça, s’il ne préférerait pas être avec quelqu’un de valide, s’il ne regrettait pas la moi d’avant la maladie. Il a été honnête, me disant que oui, ce n’était pas facile à vivre tous les jours, mais que pour le moment, il préférait vivre avec moi et ma maladie que sans moi. « On verra dans 10 ans ! », me dit-il en rigolant. Et j’ai ri aussi à travers mes larmes.
« on verra dans 10 ans »
« on verra dans 10 ans »… et là ça me frappe, comme une évidence. Je ne sais pas si moi je veux vivre encore 10 ans comme ça. Si je supporterai encore ces douleurs tout ce temps. « On verra dans 10 ans ». Ce temps me semble infiniment long. À chaque crise qui me donne l’impression que je vais mourir de douleur, je me dis que plus jamais je ne veux ressentir cette souffrance. Plus jamais je ne veux subir ça. « On verra dans 10 ans ». Comment imaginer un futur quand à 30 ans je dois parfois sortir avec une canne. Quand je ne peux plus marcher plus de 20 min sans me retrouver complètement bloquée des hanches pendant 2 jours. Comment imaginer un avenir ? « On verra dans 10 ans ». Je mentirais si je disais qu’au milieu de la nuit, pendant mes insomnies dues à la douleur et aux médicaments, je n’ai jamais envisagé de prendre tous mes opioïdes d’un coup pour que cette douleur s’arrête. Pour mettre un terme à cette vie insoutenable. Pour ne plus être un boulet. « On verra dans 10 ans ». Cette phrase résonne toujours en moi alors que des mois ce sont écoulés.
Aujourd’hui, je vais mieux. Je suis sous anti-dépresseurs. Ils m’aident à gérer mes douleurs qui sont moins fortes même si toujours présentes. J’arrive à vivre à nouveau presque normalement ! Je sais au fond de moi que ça ne dure jamais, que les crises reviendront inéluctablement. Je suis dans l’attente de ce moment, je le redoute. Je guette chaque signe qui annoncerait le retour d’une période où je sombrerai à nouveau. Mais pour l’instant, j’essaye de profiter au mieux de cette pause bienfaitrice. J’envisage même un avenir, dans lequel j’arrive à composer ma vie avec l’endométriose. Je m’accroche à chaque petit moment de bonheur, chaque joie. Je tiens pour lui, pour ma sœur, pour ma famille, et pour moi aussi un peu. Alors pour le moment, je me dis que oui, peut-être bien qu’on verra dans 10 ans !
Arrêter de culpabiliser de vouloir ne plus avoir mal
J’ai beaucoup hésité à publier ce texte. D’une part parce qu’il expose une part intime de moi difficile à avouer. Je me sens honteuse d’une telle pensée, souvent vue comme une faiblesse. Je ne me sens ni forte ni courageuse. Comme toute personne malade chronique, je subis ma maladie et je vis avec comme je peux, ou pas, selon les jours. Je ne suis pas une « malade modèle » qui positive sa maladie. Il n’y a pas de douleur positive.
D’autre part, j’ai hésité parce que je sais que ma famille et mes amis liront très probablement mes mots. Que vont-il penser de moi ? S’avouer ses faiblesses est une chose, les avouer à ses proches en est une autre. De plus, je ne veux pas leur créer des angoisses inutiles, eux qui s’inquiètent déjà beaucoup pour moi.
Alors pourquoi le publier direz-vous ? Parce que ce ras-le-bol, cette envie que tout s’arrête pour pouvoir se reposer, souffler, ne plus subir, ne plus ressentir… c’est une chose que beaucoup de personnes malades chroniques vivent. Et pourtant on en parle peu. Comme quelque chose de honteux. Mais elle est là, la dure réalité de la douleur, de la vie avec la maladie. Et je pense qu’il est important de voir aussi cet aspect là, pour ne plus minimiser nos douleurs, nos peines. Pour qu’on ose enfin en parler et arrêter de culpabiliser de ne plus vouloir avoir mal.
6 réponses sur « On verra dans 10 ans ! »
Merci pour ton texte 💙 on se demande toutes je crois comment on va bien pouvoir faire pour supporter ça. Un jour après l’autre, c’est encore ce que j’ai trouvé de mieux pour tenir. J’espère que le répit durera un peu.
Merci Madi
J’ai du mal à faire au jour le jour. J’ai besoin d’avoir des projets, une ligne à suivre, savoir où je vais pour me rassurer. Là c’est flou, et ça m’angoisse. J’espère que je pourrais faire la formation qui m’intéresse pour y voir plus clair.
Je t’embrasse
C’était très triste à lire, vraiment très triste. Je pense que c’est impossible à imaginer pour quelqu’un qui ne subit rien de tout ça. Encore moins de pouvoir se mettre à ta place. Même si je t’ai déjà vue avoir mal, ça reste incompréhensible, tellement c’est dingue. Tout ce que j’espère, c’est que d’intelligents chercheurs se penchent activement sur la question pour qu’avant les fameux 10 ans, il y ait de meilleures solutions.
Merci pour tes mots ma Pisha.
En attendant que la recherche avance, j’espère que la reconnaissance de l’endo aura progressé pour qu’on soit mieux écoutées et prises en charge tant sur le plan physique que psychologique.
Je croise fort les doigts pour le rdv au centre de la douleur. C’est long d’attendre quand on a mal.
J’espère vous revoir très vite !
Comme je me retrouve dans ton texte!! Un jour j’ai supplié ma mère de me laisser partir pour un autre monde afin de ne plus avoir mal…elle m’a soutenue et me soutient encore. Merci pour ce partage, courage à toi.
Merci pour ce partage émouvant. Un malade chronique n’a effectivement pas beaucoup d’options si rien ne vient soulager ses douleurs. J’espère qu’un traitement sera trouvé pour améliorer la qualité de vie des patientes atteintes d’endométriose et que la maladie sera mieux reconnue et prise en charge.
En attendant, je vous souhaite de connaître des moments de répit qui vous laissent respirer et reprendre des forces… on en a toutes besoin.