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Témoignages hors collectif

Témoignage – Coming-out

Vous allez lire le témoignage d’une personne extérieure au collectif Nos Corps Résistants. Ceci est un texte personnel que nous n’avons pas modifié afin de ne pas altérer sa parole et son ressenti. Les propos tenus ici n’engagent qu’elle.


La douleur des femmes est minimisée par le milieu médical, et ce depuis des générations. On considère qu’il est normal pour une femme de souffrir de ses menstruations, et tout ce qui touche aux règles reste encore aujourd’hui un tabou qui participe à peser sur le silence et le retard de diagnostic de l’endométriose. Comment alors se concevoir comme malade quand à force de se l’entendre dire, on en vient soi-même à penser que l’on a rien ?

Miliza est enseignante, voyageuse, clubbeuse et maman comme elle se décrit elle-même. Elle a été diagnostiquée d’endométriose et d’adénomyose il y a 5 ans. Elle nous raconte aujourd’hui son expérience avec le corps médical, sa colère face à la maladie et au silence qui l’entoure ainsi que sa réflexion sur l’acceptation de son état de malade.

C’était en 2015. J’avais presque 30 ans. J’ai eu des règles hémorragiques, et j’ai du me traîner sur le sol pour atteindre l’Antadys qui allait me soulager. Et puis, je suis sortie danser.

Je n’allais jamais chez le médecin et rarement chez un.e gynécologue. Je n’ai jamais vraiment pris la pilule parce que celles que j’avais essayées,  je ne les avais pas supportées.

En visite de « routine » chez la gynéco, elle m’interroge sur mes règles. Je dis que j’ai très mal, mais qu’avec l’Antadys, ça va. Quelques questions lacunaires. Et des réponses qui le sont aussi.

On me prescrit une échographie pelvienne. Il y a un gros kyste à l’ovaire gauche. Et puis tout s’enchaîne. L’IRM, le diagnostic, les lésions. Endométriome ; Endométriose Profonde ; Ligaments Utéro-Sacrés ; Adénomyose. Des grands mots. J’écoute ;  je ne comprends rien – juste que je n’ai pas le choix. On me dit Lutéran en continu. Ou Grossesse.

Je commence le Lutéran.

Je vis un calvaire. Mais sans mettre de mots dessus. Crises de larmes, angoisse, envie de mourir. Je me dis que ce doit être moi qui ai du mal à gérer l’annonce de la maladie. En fait, c’est le traitement hormonal qui me flingue mentalement. Mais personne ne me l’avait dit, que ça pouvait arriver. Seul mon compagnon voit mon état, mais on se connait depuis peu, il ne se rend pas compte non plus dans quel gouffre je suis tombée.

Les lignes bougent, à mon corps défendant.

Début 2017, j’arrête la pilule pour essayer d’avoir un enfant. Contexte d’urgence et d’anxiété maximale. La dépression liée au Lutéran, et les propos des médecins autour de l’infertilité font que je veux essayer d’avoir un enfant en pensant que cela n’arrivera pas. Je tombe enceinte tout de suite.

Fin 2017, je suis maman. Je mets du temps à me remettre des séquelles de l’accouchement, et puis revient l’endométriose. Une flambée. Ce n’est plus que pendant les règles ; c’est tout le temps. Mon ventre est tantôt une pierre, tantôt un brasier. Je suis épuisée ; j’ai du mal à marcher. Mais je tiens, parce que dans ma tête, je ne suis pas malade. Je fonctionne en pilote automatique. Je reprends le travail au collège, je dors peu parce que j’ai un bébé qui pleure, je sors danser certains week-ends. Mais je flambe. Et je me vide de mon sang à nouveau. J’ai mal au dos et au ventre. Je n’arrive pas à décrire cette douleur.

Alors je retourne chez la gynéco. J’arrive à parler ; à dire quelques mots concernant ma santé mentale. Je ne veux pas dépérir mentalement alors que j’ai un enfant. Je le dis en rigolant. Et je dis aussi, que sans traitement, je ne tiens plus debout. Elle me prescrit du Colprone.

L’anxiété reprend, je suis irritable, nerveuse, mais je ne me sens pas en dépression. Alors je continue malgré l’anxiété, la baisse de la libido, et les gencives qui saignent. Les douleurs persistent mais elles sont plus supportables. La fatigue chronique s’atténue. Mais mes yeux sont cernés, et j’ai quand même du mal à travailler, à être maman et à faire tout ce que j’aime faire par ailleurs.

Pas de mots, donc pas de mal ?

Je ne parle pas de ma maladie. Une partie de moi n’a pas compris qu’elle était là, qu’elle allait rester. Que j’allais devoir la surveiller, la subir, l’apaiser.

Aujourd’hui, c’est le confinement. Le Colprone est en « rupture fabricant ».  J’ai encore une boite en réserve et demain je vais chez la gynéco. Il faudra que je trouve les mots, que je m’affirme pour arbitrer entre ce qui est supportable et ce qui ne l’est pas. Que l’on trouve une solution. La moins mauvaise.

Je repense à ce silence, dans lequel j’ai grandi et qui coule dans mes veines. Depuis l’adolescence, certains mois je ne tiens pas debout pendant mes règles si je n’ai pas d’Antadys. Cela n’a alerté personne. Surtout pas moi. Pendant des années, mes rendez-vous de gynécologie sont des rendez-vous manqués. Et je crois que ça m’arrange. Tout va bien donc.

A part pendant les règles, malgré les lésions, j’étais peu symptomatique jusqu’au diagnostic. Mon corps crie maintenant. Cela fait presque trois ans qu’il crie, que ma vie change, que je deviens une personne malade.  Je n’ai pas voulu y croire, je n’y crois pas encore tout à fait. Cette maladie, dans ce qu’on en dit, elle ne me concerne pas vraiment finalement : j’ai eu un bébé et je réponds « bien » au traitement hormonal puisque le kyste a régressé. Mais la réalité, c’est que maintenant mes jours sans douleur sont rares. La maladie y va au lance-flamme.

Je n’ai jamais pu la dire ou l’écrire cette douleur. Quand elle est là, elle me terrasse ; je ne peux pas me penser. Quand elle me laisse un répit, j’ai l’impression de me retrouver, je l’oublie, je vis comme avant. Je retrouve mes capacités cognitives, mais jusqu’ici jamais pour les mettre au service d’une meilleure connaissance de ma maladie. Parler de ce quotidien, c’est admettre qu’il existe, d’abord vis-à-vis de soi-même. C’est admettre qu’on est malade, qu’on est une enseignante malade, une maman malade, une amie malade, une compagne malade ; et cet état, cette vulnérabilité, me mettent en colère.

J’ai tellement voulu différer la colère.

Aujourd’hui, allongée, je la regarde tournoyer au plafond.

J’ai 35 ans et je suis malade.

Ma maladie n’est pas seulement un tabou lié à la sphère intime, elle est un silence sur la douleur chronique, inutile. Elle prolifère et se déploie dans une absence de mots pour parler de soi, pour décrypter ses maux, son intériorité, pour exprimer ses besoins. Les mots me manquent pour décrire mon corps féminin qui souffre et qui résiste.

Je dis ici que je galère, que je suis triste de ne pas pouvoir m’occuper correctement de mon enfant, je suis triste de devoir m’asseoir entre chacune des rares danses que mon corps m’autorise encore, je suis triste que mes émotions soient prises en otage par des pilules, je suis triste de ne plus avoir l’énergie que je donnais avant à mes élèves.  

Je sais aussi qu’aujourd’hui j’apprends à parler. Chaque mot posé est une arme contre ce silence que j’abrite et qui m’emmure. Chaque mot apprivoise ma vulnérabilité et m’autorise la colère. Chaque mot est un pas pour m’accepter, et un jour, me réinventer.


Si vous aussi vous voulez témoigner, que ce soit sur votre parcours ou sur un aspect de votre vie avec l’endométriose, vous pouvez me contacter via l’adresse temoignages@noscorpsresistants.fr après avoir lu notre charte des témoignages.

Par Little Sica

Lady Endo Bulot of Glencoe, TramaDoll rêveuse fantastique

Historienne de l'art reconvertie, grande amatrice de thé et de dinosaures, je m'occupe de publier vos témoignages et des réseaux sociaux. N'hésitez pas à me contacter à l'adresse : temoignages@noscorpsresistants.fr !

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