Vous allez lire le témoignage d’une personne extérieure au collectif Nos Corps Résistants. Ceci est un texte personnel que nous n’avons pas modifié afin de ne pas altérer sa parole et son ressenti. Les propos tenus ici n’engagent qu’elle.
Clémentine a 21 ans. Elle est militante handi-féministe au sein du collectif Les Devalideuses qui démonte les idées reçues sur le handicap. On vient récemment de lui diagnostiquer une endométriose débutante. Elle nous raconte son parcours et comment les récits médiatisés sur l’endométriose ont influencé sa première vision de la maladie.
« Je n’ai pas très mal, mais je ne me souviens plus de ce que c’est, ne pas avoir mal »
J’ai mal au ventre. Comme si j’avais mes règles sauf que ces douleurs s’invitent même en dehors. Une douleur au bas ventre qui pourrait me permettre de dessiner mon utérus car je le sens. Parfois des crampes, parfois des coups de poignard dans le bas ventre ou dans le bas du dos, parfois des aiguilles plantées dans mon ventre. C’est un caméléon, Madame la douleur ! Je n’en dis pas grand chose, elle n’est qu’à 2 ou 3 sur dix. Si je m’occupe je peux presque l’oublier, ce n’est pas insupportable. Au début, elle est là quelques jours par mois, je rationalise, à grand coup de documentation sur internet. C’est l’ovulation, c’est peut être un kyste bénin ou l’éternelle réponse, c’est l’angoisse. L’Angoisse. L’angoisse c’est ne pas donner de sens, c’est ne pas savoir. En médecine, c’est un mot sur lequel on met tous les maux. Surtout quand comme moi, on traîne depuis quelques années un trouble anxieux généralisé.
L’angoisse c’est ne pas donner de sens, c’est ne pas savoir. En médecine, c’est un mot sur lequel on met tous les maux.
Elle s’installe discrètement et puis je me réveille un matin en réalisant que je n’ai pas très mal, mais je ne me souviens plus de ce que c’est, ne pas avoir mal. J’ai 21 ans et ne pensais pas avoir besoin d’aller voir un gynécologue de sitôt et repousse l’échéance. La douleur me suit, me dicte son rythme, paralyse mon corps pendant mes règles et tient un siège permanent dans mon esprit. Et puis finalement la consultation arrive avec une praticienne au sein d’un cabinet réputé queer-friendly. Elle est sympathique, m’écoute avec mon trouble anxieux – sans la psychophobie que je craignais – et mes questions sur la douleur, hoche simplement la tête quand je lui explique être lesbienne. Nous parlons un peu d’endométriose, elle n’a pas l’air inquiète, moi non plus puisque l’endométriose ça fait très très mal. Elle m’examine et dit «on va faire une écho pour se rassurer ». Je suis contente, elle m’entend, elle ne pense pas que ces douleurs sont dans ma tête.
« Presque rien. Mais presque toute cette douleur s’explique »
Cela devrait m’apaiser, mais tout de même, l’inscription sur l’ordonnance « rechercher des traces d’endométriose » m’inquiète. J’imagine aussitôt des lésions partout, la douleur tout le temps, la stérilité. Souvent, je me touche le ventre dans un mouvement compulsif, à la recherche de quelque chose qui pourrait justifier mes inquiétudes. Tous les jours, je me réveille en y pensant, et si c’était ça, la maladie avec un grand E ? Je milite au sein d’un collectif handi-féministe, Les Dévalideuses, donc cette maladie qui déchire les femmes, je la connais. Or, je suis perplexe, j’ai entendu les récits de combat contre une douleur hurlante, quand la mienne n’est que murmure…
Puis, vient la consultation chez une radiologue spécialiste de l’endométriose tant qu’à faire. Lors du rendez vous elle m’explique d’une manière poétique devoir « passer par en bas » pour chercher des lésions d’endométriose, face à mon absence de rapports pénétratifs, elle me propose une IRM à la place. Ce que l’Anxiété m’interdit absolument. Je lui demande d’essayer de m’examiner quand même. Elle accepte en m’affirmant qu’elle « ne veut pas faire mal ». Je décide de lui faire confiance. Elle m’examine, tout semble aller bien, puis un ovaire ne bouge pas selon elle. Qu’est que cela peut bien vouloir dire ? Je me rhabille, elle m’annonce « discrète endométriose utérine et profonde, mais presque rien, il vaut mieux faire une hormonothérapie en continu ». Presque rien. Mais presque toute cette douleur s’explique. C’est un coup de massue, mais je ne tombe pas je chancelle au rythme de ma chance. Après tout, je suis jeune, ce n’est qu’une endométriose débutante qu’on pourra sans doute contrôler. Quand certaines accomplissent une traversée du désert à la recherche du diagnostic, il ne m’a fallu que quelques mois.
« Personne ne devrait traverser un désert, les débutantes devraient être légion »
Je sais bien après tout que cette traversée du désert qu’expérimentent certaines est aussi compliquée par une lutte contre le patriarcat, le racisme ou autres systèmes assassins. Ce patriarcat explique sans doute à lui seul pourquoi il semble que la plupart des informations disponibles sur l’endométriose trouvables sur internet semblent être destinées à des femmes hétérosexuelles en mal d’enfant. Qui d’autre intéresse les hommes ? Sûrement pas ces femmes qui voudraient qu’on leur retire l’utérus. Cela ne peut qu’expliquer le manque de recherches sur les autres aspects d’une maladie chronique pourtant fréquente ou encore la difficulté de faire reconnaître ce mal sans fin comme une Affection Longue Durée. Comme ma maladie, je ne suis qu’une débutante. Mais je veux vous le dire, personne ne devrait traverser un désert, les débutantes devraient être légion, avoir mal n’a rien de normal, même de temps en temps, même « juste à certains cycles ». C’est pourquoi il faut parler de ces petites endométrioses et ne pas oublier que même si nos souffrances sont toutes différentes, nous devons toutes combattre le sexisme qui nous empêche d’en parler. Il faut parler de ces maux discrets, pour que d’autres personnes en mal de légitimité trouvent au plus vite des solutions.
Si vous aussi vous voulez témoigner, que ce soit sur votre parcours ou sur un aspect de votre vie avec l’endométriose, vous pouvez me contacter via l’adresse temoignages@noscorpsresistants.fr après avoir lu notre charte des témoignages.