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Le travail empêché : l’endométriose dans la salle de classe

Mon métier est exigeant physiquement et psychologiquement. Il faut, pour accompagner des élèves au quotidien être réactive, disponible, accueillante, flexible. Marcher, piétiner, se pencher, porter. Il faut tenir la distance de plusieurs périodes « entonnoirs » où la quantité de travail assise augmente (corrections, bulletins, réunions), où la disponibilité physique doit être totale (réunions parents, conseils, sorties). Le suivi de 180 élèves demande enfin d’être attentive à chacun et au groupe, de se souvenir ce dont chacun a besoin, proposer du jour au lendemain un cours ou une activité modifiée, une aide, un document.

Je peux encore travailler.

Malgré des périodes d’arrêt de plus en plus longues lors des crises, je peux encore prendre les transports et tenir quatre jours de suite parce que j’ai obtenu une journée libérée pour m’épargner les transports et rester allongée. Mais chaque soir, je m’écroule physiquement durant 2 à 3 heures, mon ventre douloureux d’être contenu depuis 7h du matin quand je pars de chez moi, mon dos qui lance, ma hanche qui rouille. Et bien pis en cas de crise, sentir le ventre lâcher en classe et paniquer, une violente brûlure fuser dans la vessie, le nerf sciatique qui vrille la fesse et la jambe. Fermer les yeux, nier, hurler intérieurement.

Car on ne peut laisser seuls ses élèves, et aucun surveillant à l’horizon : il faudra tenir encore 10 ou 55 minutes, les médicaments à portée de main, de l’eau toujours. La sueur, la peur, la honte anticipée si jamais un jour…

Mon établissement dispose d’un ascenseur, j’ai pu obtenir une salle fixe, un emploi du temps condensé. Ce n’est pas une obligation pour mon employeur, mais c’en est une pour moi. Depuis non pas mon diagnostic, mais bien avant, la réalité de l’endométriose dicte ses lois au quotidien, j’ai adapté ma manière d’évaluer avec des copies plus petites et moins lourdes à transporter. J’ai appris à sélectionner sorties, projets et réunions, car par périodes rien ne sera fiable en moi, épuisée de cet épuisement qui ne dépend pas de la quantité de travail mais bien du corps qui lutte sur tous les fronts nuit et jour. J’ai appris à condenser des chapitres, à trancher, à réduire, pour rattraper les heures perdues par mes douleurs sur le programme. Je culpabilise, et je pleure tout ce que je voudrais transmettre et faire faire à mes élèves, et qui disparaît dans le néant des névralgies et de l’hébétude. Se savoir si nécessaire et se sentir si inutile parce que empêchée, physiquement, dans un métier où il faut être jour après jour sur-utile.

Je n’accompagne pas mes collègues à la cantine, je fais des étirements dans ma salle et mange mon menu adapté aux crises. Mon cours, ma pédagogie, ma salle sont pensés tels que tout puisse donner confiance à mes élèves, mais surtout les rendre autonomes de moi. Comme un parent malade avec ses enfants : pour m’épargner et pour leur apprendre quand je ne pourrai plus être là.

J’ai fait une croix sur un à deux jours de carence par mois (75 à 150€ donc) parce que la RQTH ne permet pas d’en être exempte. Même pour une maladie reconnue comme chronique. Je m’interroge parfois. Sous Acupan, Tramadol, sous Lyrica, en cas d’urgence, en responsabilité de tant d’adolescents… serai-je suffisamment réactive et claire pour prendre les bonnes décisions ? Quand les crises s’aggravent, je m’interroge encore. Et je me demande si mes élèves ne pâtissent pas de m’avoir moi, une professeure soumise aux aléas de l’endométriose.

Par Chouyo

Blogueuse, voyageuse, écrivain et professeure : l'endométriose ne me définit pas mais elle s'infiltre à mesure dans chaque aspect de ma vie, m'obligeant à l'affronter et à l'accepter, m'effondrer et me renouveler à chaque instant, en essayant de ne pas céder un pouce de qui je suis.

2 réponses sur « Le travail empêché : l’endométriose dans la salle de classe »

Bonjour,
Tout mon soutien, je sais combien l’exercice de ce métier peut être difficile, continuer en ayant cette maladie vous honore. Vous y avez sans doute déjà pensé mais quant aux jours de carences, peut être pourriez vous faire une demande d’Affection Longue Durée (hors liste) pour l’endométriose et ainsi éviter le jour de carence?

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